
Chronique du Dr Franklin Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika
Le 20 février 2023
Le 19 février 2022 à Addis-Abéba en Ethiopie, le Président en exercice de la CEDEAO, Umaro Sissoko Embalo, profitant de la tenue de la session de l’Union Africaine[1], a convoqué une réunion extraordinaire de la CEDEAO. Pour le général au pouvoir à Bissau, il était question de plancher en urgence sur la mobilisation diplomatique du Mali, du Burkina et de la Guinée afin d’obtenir la levée des sanctions prononcées par l’Union Africaine (UA) contre ces pays, suite aux coups d’Etat ayant eu respectivement lieu dans ces pays de 2020 à 2022. On peut alors, à bon droit, se poser trois questions : 1) Embalo sert-il vraiment la CEDEAO quand il profite d’une réunion de l’UA pour convoquer un sommet extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO hors de la zone CEDEAO, dans la capitale continentale de l’Union Africaine ? 2) Que valent les sanctions réitérées à l’occasion de la publication d’un énième communiqué de la CEDEAO hier 19 février 2023 contre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ? 3) Devant la persistance des Chefs d’Etat aux ordres de l’Occident au sein de la CEDEAO, à s’opposer à la volonté de souveraineté et de solidarité de la Tripartite Guinéé-Mali-Burkina, que reste-t-il à faire pour ces pays déterminés à faire leur propre histoire ?
Incongruité, émotivité, cynisme de la CEDEAO envers la révolution panafricaniste ouest-africaine
Alors même que la CEDEAO s’était officiellement réunie en décembre 2022, alors même que l’actuel président en exercice de cette organisation s’était rendu début janvier 2023 au Burkina Faso où il avait publiquement juré de soutenir les nouvelles autorités de transition, la volte-face agressive d’Embalo dans son communiqué du 19 février 2023[2] s’avère incongrue, émotionnelle et cynique. L’incongruité tient au non-respect du cadre de l’Union Africaine, et même de la volonté affichée de l’Union Africaine elle-même, à travers une déclaration publique de Moussa Faki Mahamat, de revoir le train des sanctions jugées inutiles que la CEDEAO et l’UA ont jusqu’à ce jour infligées aux trois Etats ouest-africains en synergie. Tout porte à croire qu’en violant le cadre continental d’Addis Abéba[3] pour réitérer des positions régionales de la CEDEAO, Umaru Sissoko Embalo a agi sous la double pression du régent françafricain Alassane Ouattara, des diplomaties française, européenne et plus largement occidentales, qui sont encore plus que par le passé aux abois après le départ de l’armée française du Burkina Faso décidé le 18 janvier 2023.
En effet, Embalo, début janvier 2023, avait tenté de peser de tout son poids-plume pour infléchir la décision d’ordonner le retrait de la Force française Sabre du camp de Kamboinsin près de Ouagadougou. La contrattaque du général bissau -guinéen à Addis Abéba ce 19 février 2023 est donc tout simplement une sorte de punition revancharde contre le Burkina Faso et, plus largement la dynamique fédérative Mali-Burkina-Guinée[4]. Se sentant désavoué par la décision burkinabé du 18 janvier 2023 signifiant officiellement au ministère français des Affaires étrangères la fin de l’Accord de coopération militaire franco-burkinabé datant de décembre 2018, Umaro Sissoko Embalo a voulu comme servir un baume d’apaisement à la puissance hexagonale en sabrant contre la tripartite Burkina-Mali-Guinée. Ce n’est donc surtout pas pour servir la sous-région ouest africaine que le président en exercice de la CEDEAO a refusé de suivre la ligne apaisante suggérée par l’UA dans l’approche de la crise sécuritaire sahélienne. C’est uniquement pour une revanche à courte vue, où le cynisme le dispute à la volonté hégémonique du bloc néocolonisé impérialiste d’Afrique de l’Ouest contre le bloc révolutionnaire panafricaniste.
Sanctions unilatérales, superflues et par-dessus tout, nuisibles aux peuples ouest-africains en lutte contre le terrorisme
Quand on s’intéresse au contenu des sanctions que la CEDEAO persiste à imposer contre le Mali, le Burkina et la Guinée, l’on se rend rapidement compte qu’elles tournent toutes autour de la condamnation par principe de la prise du pouvoir par coup d’Etat. Or, incontestablement, un examen de la nature des régimes politiques au pouvoir en Afrique de l’Ouest en ce début d’année 2023 montre qu’ils se répartissent presque tous dans les quatre types de coups d’Etat suivants : les révolutions de Palais ; les coups d’Etat néocolonialistes ; les coups d’Etat révolutionnaires-populaires ; les coups d’Etat civils dits constitutionnels.
Dans les révolutions de palais, un membre du même régime en succède à un autre, violemment ; dans les coups d’Etat néocolonialistes, une ancienne puissance coloniale impose un sous-fifre, militaire ou civil, à la tête d’un pays africain, comme on a vu la France le faire par exemple au Tchad avec Mahamat Kaka Déby, ou contre le régime ivoirien de Laurent Gbagbo en 2010-2011 ; dans les coups d’Etat révolutionnaires, la frange patriotique de l’armée rejoint la lutte des masses populaires contre l’injustice et la misère et cela donne une transition politique du type Mali Kura avec le Colonel Goïta ou MPSR version Capitaine Ibrahim Traoré au Burkina ; dans les coups d’Etat civils ou constitutionnels, un clan civilo-militaire viole la constitution, fraude les élections, pille les marchés publics et les régies financières d’un Etat, traque les opposants politiques et pratique le coup d’Etat permanent, comme on le voit en Côte d’Ivoire avec Ouattara, au Niger, au Sénégal, en Guinée Bissau, au Togo ou dans une certaine mesure au Ghana et au Bénin avec Bazoum, Macky Sall, Embalo, Gnassingbé ou Talon.
Dans ces conditions, les sanctions bruyantes de la CEDEAO contre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée sont dénuées du moindre fondement moral, de la moindre exemplarité ou crédibilité politiques, car la Conférence des Chefs d’Etats de la CEDEAO est bel et bien un club de putschistes civils, militaires, néocoloniaux et prébendiers. Unilatérales, car ne s’appliquant qu’aux Etats dont les dirigeants sont insoumis au néocolonialisme occidental qui parraine la CEDEAO. L’’efficacité positive des sanctions de la CEDEAO est nulle, mais leur efficacité négative est extrêmement avérée.
Interdire aux dirigeants maliens, guinéens et burkinabé de se déplacer[5] dans la sous-région est un coup d’épée dans l’eau, d’autant plus que ces dirigeants eux-mêmes ne sont point demandeurs de visites aux régimes néocolonisés de la CEDEAO. Assimi Goita, Ibrahim Traoré, Mamadi Doumbouya ne brûlent nullement d’envie d’aller à Abidjan, Dakar, Cotonou, Niamey ou Bissau. Bien au contraire, ce sont les vassaux de la Françafrique, tels Ouattara ou Embalo, qui n’ont eu de cesse de leur faire la cour depuis leur avènement au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mieux, cette interdiction de voyager ne vaut pas pour le reste du continent africain, encore moins pour le reste du monde, où en fonction de leurs relations bilatérales, les dirigeants maliens, burkinabé et guinéens voyagent à volonté. Le Président Goita n’a-t-il pas été officiellement invité en Russie en juillet 2023?
Mais le véritable non-dit des sanctions de la CEDEAO contre ces pays est en réalité économique. A travers l’instrumentalisation politique de la BCEAO et de l’UEMOA, le Mali, la Guinée et le Burkina Faso continuent de subir des chantages, des blocages et des tracasseries, voire des sabotages de leurs opérations financières régaliennes, en raison de leur insoumission à la vulgate néocolonisée que représentent Embalo et Ouattara dans la CEDEAO. Ce sont ces sanctions non-écrites qui bien plus encore que les interdictions de voyager, constituent le socle de la répression de la Françafrique contre les régimes de Bamako, Ouagadougou et Conakry. Et c’est pour desserrer à très court terme cet étau financier utilisé comme une épée de Damoclès sur les régimes insoumis que la diplomatie tripartite des ministres Rouamba, Diop et Kouyaté s’est unie et mobilisée. Quelles perspectives résultent-alors de l’arc-boutement de la CEDEAO sur le train des sanctions dites et non-dites, écrites et non-écrites contre la tripartite Mali-Guinée-Burkina ?
La lutte et l’invention de soi ouest-africaines, uniques voies de succès des peuples
Face à la situation qui prévaut, les Etats insoumis d’Afrique de l’Ouest, qui ont décidé de combattre le terrorisme sans s’associer aux puissances impérialistes de l’OTAN qui l’ont facilité en détruisant la Libye et en déstabilisant tout le Sahel, doivent lutter et innover, car seules restent entre les mains des peuples ouest-africains, la lutte solidaire et l’invention de soi.
La lutte solidaire, c’est le combat des peuples unis contre les puissances néocolonisées sous-régionales, néocoloniales et impérialistes internationales qui veulent maintenir l’Afrique dans le statut infamant de réserve de matières premières à la disposition de l’Occident et de l’Orient, ad vitam aeternam. L’Union Mali-Burkina Faso-Guinée[6] est donc la molécule de base du métabolisme de l’émancipation ouest-africaine. La mutualisation des moyens politiques, diplomatiques, économiques et sécuritaires de ces trois Etats phares est un enjeu vital pour l’émancipation ouest-africaine.
Avec plus d’1761000km2, et plus de 60 millions d’habitants, ces trois pays devront bousculer la vieille CEDEAO, non par pour en sortir, mais pour la sortir. Il faut vider la CEDEAO pour la dépasser. Il s’agit de se réinventer pour renaître à la dignité, à la souveraineté et à la prospérité des peuples ouest-africains. Et dans l’urgence, la virulence des sanctions économiques de la CEDEAO via la BCEAO contre le Mali, le Burkina et la Guinée appelle la naissance en contrepoint de la Banque Ouest-Africaine des Peuples (B.O.P.) qui mettrait en commun un fonds de Trésor Public en réserve-Or entre les 3 Etats de la Tripartite Panafricaniste Ouest-africaine, afin de créer un marché financier, une unité monétaire, de puissants projets communs qui feront pâlir d’envie et d’impuissance les augustes braillards de la CEDEAO et de l’Union Africaine, passés maîtres dans l’attentisme institutionnel et la passivité néocoloniale.
Incontestablement, l’Afrique de l’Ouest doit se réinventer pour ne pas périr de la trahison de certaines de ses élites néocolonisées. Elle doit crânement s’assumer comme bâtisseuse de son propre destin. L’unilatéralisme, ce tristement célèbre deux-poids-deux mesures de la CEDEAO est la copie conforme de l’unilatéralisme des sanctions de l’hégémonisme politique occidental envers ce qu’on a appelé avec mépris « Le reste du monde », alors même que l’Occident ne représente qu’environ un quart de l’humanité. De même, la résistance de la Tripartite Mali-Burkina-Guinée annonce donc la naissance d’un monde africain multipolaire, unique chemin de possibilité d’une renaissance de l’Afrique autour d’une Fédération Africaine Souveraine.
[1] https://www.france24.com/fr/afrique/20230209-c%C3%A9deao-et-ua-le-burkina-faso-le-mali-et-la-guin%C3%A9e-souhaitent-la-lev%C3%A9e-de-leur-suspension
[2] https://www.dw.com/fr/sanctions-c%C3%A9d%C3%A9ao-d%C3%A9cide-contre-avis-moussa-faki-mahamat/a-64757703
[3] https://lefaso.net/spip.php?article119606
[4] https://www.france24.com/fr/afrique/20230209-c%C3%A9deao-et-ua-le-burkina-faso-le-mali-et-la-guin%C3%A9e-souhaitent-la-lev%C3%A9e-de-leur-suspension