
La Razzia : forme spécifique de la dictature d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire (I)
Un dossier éditorial en 3 parties
Par le Professeur Franklin Nyamsi Wa Kamerun
IL y a des manières de gouverner qui échappent aux catégories descriptives existantes. Pour les comprendre, il faut les décrire patiemment et créer des concepts pour les distinguer, afin de provoquer un éveil critique de l’opinion à leur sujet. IL ne suffira jamais de les caser dans la tripartition traditionnelle des régimes politiques selon Montesquieu. En effet, l’auteur de L’Esprit des Lois estimait qu’il y a globalement trois sortes de régimes politiques : le régime républicain, où la souveraineté appartient directement ou indirectement au Peuple ; le régime monarchique, où le Souverain est le seul monarque ou Roi, qui place tous ses sujets sous des lois égales ; le régime despotique, où le despote ou dictateur fait et défait les lois selon ses desiderata, dans un arbitraire absolument imprévisible. En effet, au regard des événements qui se sont succédé en Côte d’Ivoire depuis l’avènement d’Alassane Dramane Ouattara au sommet de l’Etat, notamment dans les périodes 1989-1993 et 2010-2020, on n’aura pas de mal à assimiler le régime politique ivoirien sous Ouattara à la 3ème catégorie des régimes classés par Montesquieu. Mais, il faut aller plus loin. Toutes les dictatures ne prennent pas strictement la même forme, tout comme les républiques et les monarchies varient entre elles.
Lorsqu’il arrive au pouvoir en 1990 comme Premier Ministre, Alassane Dramane Ouattara, inconnu au bataillon des citoyens ivoiriens jusqu’en 1989, marquera l’époque par une manière singulière de gouverner au sein d’une dictature trentenaire qui se voulait alors éclairée. De même, sa pratique d’opposant politique entre 1993 et 2010, mais aussi l’exercice du pouvoir depuis 2010 jusqu’en ce mois d’août 2020 par Alassane Dramane Ouattara, devait singulièrement marquer les observateurs politiques, non seulement en raison de l’inflexion singulière apportée par l’homme au régime Houphouët, mais aussi en raison de l’irruption de quelque chose de vraiment jamais-vu dans la vie politique de ce pays.
On répondra donc dans le présent dossier à trois questions : 1) Qu’est-ce qui caractérisait le régime Houphouët et en quoi Ouattara l’infléchit-il lors de son premier séjour au pouvoir dans les années 90-93 ? 2) Quels sont les marqueurs d’originalité de la pratique politique d’Alassane Dramane Ouattara opposant politique en Côte d’Ivoire, de 1993 à 2010 ? 3) Quelle forme caractéristique le régime despotique ivoirien prend lorsque Ouattara exerce de 2010 à 2020, pratiquement dix années de pouvoir politique ? On verra à la fin de cette analyse, justement pourquoi je pense que la notion de Razzia[1] est un concept éclairant pour saisir l’originalité de la Ouattarie.
Car, la thèse que nous établirons au sortir de cette étude est la suivante : l’art politique d’Alassane Dramane Ouattara relève incontestablement du domaine de la Razzia. Pratique marginale du politique qui privilégie essentiellement la cupidité, la brutalité, la capture de l’Autre, l’usurpation, la mauvaise foi, la ruse et le cynisme ; le tout sur fond d’une arrogance délirante ancrée dans un soubassement psychopathologique fait de mythomanie, de mégalomanie et de sadisme.
Une entrée par effraction dans l’appareil d’Etat ivoirien : l’invasion originelle des Ouattara[2]
C’est une constante pour tous les connaisseurs de l’histoire politique ivoirienne que monsieur Alassane Dramane Ouattara, supposément né en 1942, fut inconnu au bataillon des nationaux de ce pays de 1942 à 1989. Avant cette dernière date, monsieur Alassane Dramane Ouattara fut essentiellement repérable et publiquement connu comme citoyen natif de la Haute-Volta, devenue depuis la révolution sankariste de 1983, Burkina Faso. Tous les éléments d’archives officielles disponibles, décrivent l’existence du sieur Ouattara entre Sindou, le village de son père en Haute-Volta, Bobo-Dioulasso en Haute-Volta, et Ouagadougou en Haute-Volta toujours, jusqu’à son départ d’Afrique pour des études universitaires aux Etats-Unis d’Amérique. Le dernier établissement scolaire d’Alassane Dramane Ouattara est le Lycée Zinda Kaboré de Ouagadougou, où il obtient un baccalauréat scientifique, puis une bourse de l’Etat voltaïque, au début des années 60. En 1967, le voltaïque Ouattara obtient un Master en Economie, puis en 1972 un doctorat en Economie de l’Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis. A partir de 1967, il a commencé une carrière d’économiste au Fonds Monétaire International pendant qu’il achevait sa thèse. Celle-ci achevée, il revient en Afrique et intègre en 1973 la succursale ouest-africaine de la Banque de France , la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de Ouest) où il fera l’essentiel de sa carrière professionnelle. Il en deviendra vice-gouverneur, puis gouverneur en 1984. Entre temps, le citoyen voltaïque Alassane Dramane Ouattara, haut-cadre de la BCEAO, institution ouest-africaine, sera du reste décoré en Côte d’Ivoire en 1982. Les archives de cette décoration ivoirienne de Ouattara précisent tout naturellement sa nationalité voltaïque. Tout comme la presse internationale de cette époque, tel ce journal de décembre 1982:

A partir de quand monsieur Alassane Dramane Ouattara entre-t-il en force dans les affaires publiques et politiques ivoiriennes ? On le sait avec précision aujourd’hui : c’est notamment lorsqu’il rencontre en 1985, une jeune veuve depuis 1983 nommée Dominique Nouvian Folloroux, amie intime du Président Félix Houphouët-Boigny ou pour tout dire, sa maîtresse. Née en Algérie au début des années 50, d’une famille juive et catholique française, elle connaît nécessairement les histoires de razzias, fort répandues dans les civilisations du Moyen-Orient. L’idylle qui naît entre la veuve de l’ancien Professeur de lettres et coopérant français au Lycée Technique d’Abidjan François Folloroux, et le haut cadre de la BCEAO époux d’américaine Alassane Dramane Ouattara sera le fondement d’un couple d’entrepreneurs politico-financiers : les Ouattara décident alors d’opérer une OPA sur la Côte d’Ivoire. L’objectif est triple : conquérir le pouvoir d’Etat, le pouvoir financier, et la gloire du siècle ivoirien, ad vitam aeternam. Pour mémoire, Dominique Nouvian Folloroux est française. Alassane Dramane Ouattara est burkinabé en 1985. Comment conquérir la Côte d’Ivoire ? En devenant tous les deux, par effraction, de nationalité ivoirienne et en mettant en œuvre un véritable plan de la conquête de la République de Côte d’Ivoire.
L’une a l’argument de son charme naturel, auquel le vieux Chef de l’Etat ivoirien, qui l’appelle sa Blanche Colombe, a succombé[3]. Dominique Nouvian Folloroux ne tarde pas à accéder aux cordons de la bourse de l’Etat ivoirien. Elle devient, au milieu des années 80, la gestionnaire du patrimoine immobilier d’Houphouët et de la Côte d’Ivoire, et constitue son accumulation primordiale de jeune veuve sans le sou, perdue mais redoutablement débrouillarde en pleine Afrique noire. C’est d’ailleurs pour mieux maîtriser le pactole immobilier d’Houphouët que Dominique Nouvian Folloroux, complète une formation universitaire quasi inexistante par un certificat de formation de la FNAIM en matière de gestion immobilière, en 1989. L’année où elle lance son entreprise, AICI (Agence Immobilière de Côte d’Ivoire) L’autre, Alassane Dramane, a l’argument de son excellente connaissance des arcanes du montage financier international, et la proximité géographique et socioculturelle des peuples ivoirien et burkinabé lui permettra aisément de se glisser dans la peau de citoyen ivoirien, incognito.
C’est donc une française, Dominique Nouvian-Folloroux qui introduit le voltaïque Alassane Dramane Ouattara dans la nation ivoirienne, dans la proximité du Président Félix Houphouët-Boigny, et c’est ce dernier qui introduit à son tour Alassane Dramane Ouattara dans le gouvernement ivoirien en 1989, puis à la tête de ce gouvernement en 1990. Et depuis lors, le ver est dans le fruit. L’invasion des Ouattara commence.
L’exercice du pouvoir du Premier Ministre Alassane Dramane Ouattara, de 1990 à 1993 se caractérisera essentiellement par l’imposition du diktat néolibéral[4] du FMI et de la Banque Mondiale à la tête de ce pays. Il va appliquer, au mépris des besoins sociaux, économiques et culturels de la société ivoirienne qui a pris une taille dix fois plus grande au moins qu’en 1960, des politiques d’austérité qu’il considère comme l’unique méthode de gouvernance économique : réduction de la dépense publique, privatisation et donc libéralisation massive de l’économie en faveur de la finance internationale, augmentation massive des impôts et taxes sur le dos de la population, création de la carte de séjour payante pour les immigrés africains, baisse des investissements en matière de santé, d’éducation, de sécurité, de progrès écologique. Une étude fine de l’histoire des privatisations[5] de 1990-1994 prouve qu’elles furent essentiellement faites au profit des amis internationaux, et surtout français des Ouattara, entre autres les Bouygues et les Bolloré. Le conflit d’intérêt dans la gouvernance économique de Ouattara devient depuis lors la règle. Or, précisément parce que cette camisole de force néolibérale sur l’économie ivoirienne ne produit ni le bien-être, ni le progrès promis, Alassane Dramane Ouattara se braque dans une pratique dictatoriale dans le champ des libertés politiques. IL sera le bourreau de l’opposition ivoirienne du début des années 90. Les mouvements syndicaux de jeunesse, les fonctionnaires, les ouvriers, les immigrés de Côte d’Ivoire, mais surtout l’opposition politique subiront les foudres du technocrate venu du FMI et de la Banque Centrale française. Le point d’orgue de cette pratique politique de terreur sera la répression brutale du 18 février 1992 qui voit tous les principaux leaders de l’opposition ivoirienne, dont notamment Laurent et Simone Gbagbo jetés en prison à la suite de manifestations contre le non-respect de la séparation des pouvoirs, de l’équilibre des pouvoirs et des droits de l’opposition par le régime alors trentenaire du PDCI-RDA de Félix Houphouët-Boigny.
On peut donc dire, sans risque de se tromper que le paternalisme ou despotisme éclairé d’Houphouët entre 1960 et 1990, caractérisé par une politique sociale généreuse envers toutes les populations, une tradition de règlement pacifique des conflits intercommunautaires, une propagande de la paix teintée de messianisme religieux, et un attachement profond de l’Etat à la paysannerie productrice du cacao et du café qui avaient propulsé la Côte d’Ivoire aux avants-postes en ces matières, va être brutalement rigidifié en régime despotique sans contrepartie en termes d’Etat-Providence. Ouattara fait passer l’autoritarisme éclairé d’Houphouët au statut de dictature brutale. L’ordre politique ivoirien, désormais aux mains exclusives du Capital International, s’appuie désormais ouvertement sur la seule matraque. Ouattara, qui a pris des mains d’Houphouët une femme d’influence, la citoyenneté ivoirienne, la direction du gouvernement, le contrôle des régies financières de l’Etat de Côte d’Ivoire, va-t-il s’arrêter en si bon chemin ? Que nenni. Désormais, il cherchera à être Calife à la place du Calife[6].
La suite de ce dossier, dans 48heures, nous en édifiera.
[1] Définition du mot razzia, selon le Larousse : « Autrefois, invasion faite sur un territoire ennemi ou étranger pour enlever les troupeaux, les grains, faire du butin. […] nom féminin (arabe d’Algérie haz¯ya, de l’arabe classique rhazwu, pluriel rhazāwa, expédition rapide) » https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/razzia/66773
[2] Lire utilement le livre de Bernard Houdin, Les Ouattara, une imposture ivoirienne, Paris, Editions du Moment, 2015.
[3] « La belle Dominique a le sens des affaires et met à profit les relations de son mari au gouvernement pour se lancer, avec succès, dans l’immobilier. L’affaire grandit et bientôt elle gère notamment le patrimoine du président gabonais, Omar Bongo, et celui du père de l’independance ivoirienne, feu le président Félix Houphouët-Boigny (1960-1991), avec lequel la jeune femme entretient d’excellentes relations. Si bonnes que quand la jeune veuve (elle a perdu son mari en 1983) présente au « Vieux » un brillant économiste, Alassane Ouattara, le chef d’Etat en fait son Premier ministre, alors que son sens de la tribu le portait plutôt à choisir Henri Konan Bédié – qui sera son successeur, non sans que Ouattara ait tenté de le prendre de vitesse pour lui ravir sa place, à la mort d’Houphouët-Boigny. Dominique continue à étendre son empire immobilier et, en 1996, devient PDG de la société qui gère la chaîne de salons de coiffure Jacques Dessange aux Etats-Unis, avant d’acquérir les franchises de la marque dans ce pays. Entre-temps, sa relation professionnelle avec Alassane Ouattara s’est muée en idylle; elle l’épouse le 24 août 1991, il y a tout juste 20 ans, à la mairie du XVIe arrondissement de Paris. »
Comme l’écrira pudiquement Marie-France CROS, https://www.lalibre.be/international/dominique-ouattara-main-de-fer-et-gant-de-velours-51b733a6e4b0de6db9758810 , dans un article publié le 28 novembre 2011 dans la presse belge.
[4] Lire utilement Thierry Guilbert, L’« évidence » du discours néolibéral, Editions du Croquant, Bellecombes-en-Bauge, 2011.
[5] « Ce programme aura permis la privatisation de près d’une dizaine d’entreprises, toutes techniques confondues. Les techniques de location auront été utilisées au moins, pour deux d’entre elles : il s’agit en l’occurrence de la transformation en 1990 de l’entreprise d’électricité EECI, en société de patrimoine et de la mise en affermage de l’activité au bénéfice de la CEI, entreprise sous contrôle de la SAUR et EDF ; il s’agit, ensuite de la mise en location-gérance au profit d’intérêts belges, en août 1991, de la CEIB, entreprise d’élevage contrôlée à 60% par l’Etat ivoirien. » http://mmtcabinetavocat.e-monsite.com/pages/droit-public-economique/les-privatisations-en-cote-d-ivoire.html
[6] https://www.lesinrocks.com/2011/04/07/actualite/actualite/cote-divoire-la-marche-vers-le-pouvoir-dalassane-ouattara/